4ème de couverture:
Dans une brasserie parisienne, Lucien, 40 ans, désoeuvré, fait connaissance de son voisin, un colonel à la retraite qui lui rappelle son père. Tandis que le vieux monsieur, ravi d'avoir un confident, parle à tort et à travers, Lucien, qui ne l'écoute que d'une oreille, voit ressurgir par petits pans son enfance, son adolescence, ses espoirs de jeunesse que la vie a déçus. Et voici que soudain, dans la grisaille des jours mélancoliquement évoqués, surgit la figure délicieuse et perverse d'Annie, qui pendant deux années a fait naître en lui un amour insensé. Le récit de cette passion tumultueuse, avec ses élans, ses dégoûts, son obsession, ses poussées de haine et d'adoration, est l'un des plus troublants, des plus émouvants qu'Horace Pérès - grand spécialiste des jeunes filles et des émois qu'elles font naître - nous ait donnés. On se souviendra longtemps de cette sauvageonne étincelante que nous aurions, nous aussi, détestée et adorée.
Extrait:
"J'ai froid, disait Annie. Ne regardez pas. Tirez les rideaux."
Je l'avais prise sur mes genoux. Dans la demi-obscurité qui baignait la chambre, son visage faisait une tache blanche, oblongue, comme une traînée de peinture sur une vitre noire. Elle ne repoussait pas ma main qui progressait sous sa jupe. Seuls les baisers brefs dont elle parsemait ma figure indiquaient son émotion, la ponctuaient, imprimaient à mon désir un rythme paniqué, qui nous faisait, à cet instant, très proches l'un de l'autre.
Je n'avais eu aucun mal à la persuader de me suivre dans cet hôtel de la rue Alberti. Elle semblait à peine gênée mais bavardait seulement un peu trop, sautant du coq à l'âne et riant de ce qu'elle disait.
Elle portait une chemise d'homme en gros coutil dont le bleu, un peu passé, mettait sur ses joues, en plein soleil, un cendré impalpable. Avec sa jupe à plis, ses cheveux de gamin bien lissés, sa petite tête haut portée, sa mine convenable, elle n'allait pas au sacrifice. Peut-être pensait-elle que je plaisantais.
Ma caresse devint plus précise. Annie ferma les yeux et abandonna sur mon épaule sa tête sans poids. On pouvait croire qu'elle dormait, qu'elle pensait à un autre; qu'elle guettait, que sais-je? la venue du plaisir. Elle guettait, car elle se détendit comme une volée de branches quand je voulus déboutonner sa chemise.
- Non, non, dit-elle. Non Monsieur Perracci, non!
Elle me donnait du Monsieur. C'était gênant, c'était pitoyable. C'était un peu terrible et terriblement excitant. L'acidité du désir m'emplissait la bouche. Elle luttait, la sorcière. Elle avait cent mains, cents mains de Pénélope qui refaisaient, sans trêve, ce que j'avais défait. Je la tenais nue et je n'embrassais que l'étoffe. Elle ne frappait ni ne griffait. Elle reboutonnait. J'avais escompté un déshabillage docile, un peu terne, et voici que j'étais en train de violenter une enfant, froissant le linge que je ne parvenais pas à détacher d'elle, la caressant sans l'atteindre et grondant à mi-voix, sans ironie:
-Sois sage, voyons. Sois sage!
La chemise céda enfin, s'ouvrit, lui tomba sur les hanches. Annie ne portait pas de soutien-gorge. Elle avait de petits seins durs, à peine achevés, tièdes, doux comme la farine. Une seule main les eût contenus.
Debout entre mes genoux, matée, elle ne faisait plus un geste, tandis que j'achevais de la déshabiller. Elle se taisait, presque invisible et tellement pésente! Je donnais à cette portion de nuit un volume et une densité. Une odeur. Annie sentait la rousse, le foin chaud, le sel rance. Elle laissa en tas, tels qu'ils étaient tombés jupon, bas, petite culotte, et me précéda docilement sur le lit.
- Es-tu sûre d'avoir dix-sept ans, lui demandai-je tout à coup?
Ma main, après s'être attardée sur son ventre un peu saillant, venait de reconnaître son pubis. Il était quasiment imberbe. Elle sursauta:
- Qu'est-ce qui vous prend?
- Je t'ai demandé ton âge.
- Combien de fois faudra -t-il vous le dire?
Détournement de mineure. Les assises, les journaux: en médaillon, portrait du satyre. Aîe! Je giflai le commutateur. Ces petits seins sans aréole; ces longs membres au modèle indécis et qui n'en finissaient pas de pousser; ce ventre en forme de bulbe et ce sexe surtout, ce petit machin clos qui n'avait pas poussé son bourgeon. Le fruit défendu, la petite fille!
- Tu es une petite fille, lui dis-je sévèrement.
Sous mon regard inquisiteur, elle s'était lovée comme un foetus, le menton dans la poitrine, les genoux embrassés.
- Cela vous dérange?
Comment, sans mentir, lui répondre, et fallait-il refuser ce cadeau du sort, ce lot inespéré? Cruel embarras, que renforçait encore ma conscience intempestive. J'étais là, tout nu, stupide, partagé.
- Eteignez, souffla-t-elle entre ses seins.
Elle se déplia, s'ouvrit, belle de nuit (périlleuse comparaison). Dans ma bouche, sa petite langue était comme une huître gobée. Elle gémit quand je la pénétrai, se cabra, m'arrêtant à mi-course.
- Je t'ai fait mal?
- Non, ça ira. Faites vite.
Faire vite! Etions-nous chez le dentiste? Allais-je me masturber dans cette écolière imprudente qui grinçait des dents?
- Rhabille-toi, luis dis-je.
Finalement, tout le monde meurt: le vieux colonel fait une crise cardiaque à la fin de la soirée, le narrateur se suicide à son retour à la maison....